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Quand il existe une pathologie équivalente chez les adultes et les enfants, la règle de base est d’attendre l’obtention des premiers résultats des recherches chez l’adulte en termes de pharmacocinétique, de tolérance voire d’efficacité pour débuter une recherche chez un mineur. Dans certaines circonstances, elle est remise en cause par des équipes de chercheurs pédiatres qui souhaiteraient pouvoir inclure des adolescents de 12 à 17 ans concomitamment aux adultes dans des protocoles de recherche « mixtes ».

Le CERPed a été saisi de cette question et reconnaît les arguments des cliniciens-chercheurs qui sont, d’une part, d’accélérer la mise à disposition chez l’enfant de nouvelles molécules ciblant des circuits métaboliques ou immunitaires spécifiques dans les pathologies graves ne bénéficiant pas d’un traitement de référence et, d’autre part, d’éviter au maximum le recours à des prescriptions de médicaments non validés chez l’enfant.
Actuellement, les domaines concernés pour ces nouvelles molécules sont principalement l’onco-hématologie pédiatrique et les pathologies immunitaires pédiatriques (rhumatologie, néphrologie, etc.). La cardiologie et l’infectiologie peuvent également être ciblées.

Les comités d’éthique européens, dont les CPP français, sont réticents à donner un avis favorable à ce type de protocole de recherche « mixtes », c’est-à-dire incluant des adolescents de 12 à 17 ans concomitamment aux adultes, pour 2 raisons :

  • Le consensus habituel cité plus haut
  • Le droit européen et français qui considère la population des mineurs comme vulnérable jusqu’à la majorité légale dans chaque pays, 18 ans en général en Europe. A ce titre, cette population doit être particulièrement protégée et les comités d’éthique sont vigilants et très prudents avant de donner un avis favorable pour des recherches la concernant.
Article 32 du Règlement (UE) N° 536/2014 du parlement européen 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain
Source : Article 32 du Règlement (UE) N° 536/2014 du parlement européen 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain
« Essais cliniques sur les mineurs :
Un essai clinique ne peut être conduit sur des mineurs que si, outre les conditions prévues à l’article 28, l’ensemble des conditions suivantes sont respectées :
[…]

e) l’essai clinique est destiné à étudier des traitements pour une condition médicale qui ne touche que les mineurs ou l’essai clinique est essentiel en ce qui concerne les mineurs pour valider les données obtenues lors d’essais cliniques sur des personnes capables de donner leur consentement éclairé ou par d’autres méthodes de recherche
f. l’essai clinique se rapporte directement à une condition médicale touchant le mineur concerné ou est d’une nature telle qu’il ne peut être réalisé que sur des mineurs
g. il y a des raisons scientifiques de penser que la participation à l’essai clinique produira :
– un bénéfice direct pour le mineur concerné supérieur aux risques et aux contraintes en jeu
– ou certains bénéfices pour la population représentée par le mineur concerné, et un tel essai clinique comportera un risque minimal pour le mineur concerné et imposera une contrainte minimale à ce dernier par rapport au traitement standard de la condition dont il est atteint. »

Art. L1121-7 du Code de la Santé publique
Source : Art. L1121-7 du Code de la Santé publique
« Les mineurs ne peuvent être sollicités pour se prêter à des recherches biomédicales que si des recherches d´une efficacité comparable ne peuvent être effectuées sur des personnes majeures et dans les conditions suivantes :
– soit l´importance du bénéfice escompté pour ces personnes est de nature à justifier le risque prévisible encouru
– soit ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d’autres mineurs. Dans ce cas, les risques prévisibles et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minimal.»

On note que lorsqu’il existe une pathologie équivalente chez le majeur compétent, les recherches sur le mineur ne seront entreprises qu’après résultats obtenus chez l’adulte.

Le législateur français doit-il engager une réflexion concertée avec l’Europe pour faciliter l’inclusion de mineurs dans certaines conditions alors que la recherche pourrait être réalisée sans eux ?

L’âge de 12 ans correspond à l’âge à partir duquel la pharmacocinétique et les effets indésirables immédiats sont comparables à ceux des adultes. Par contre, certains paramètres ne seront stabilisés que vers l’âge de 15-16 ans avec une grande variabilité inter-individuelle comme la maturation des circuits enzymatiques, l’évolution de la puberté et de la croissance et la maturation neurologique qui peut se poursuivre jusqu’à l’âge de 20-23 ans. Néanmoins, la problématique des effets retardés éventuels chez l’enfant est la même dans tous les essais cliniques quelle que soit la méthodologie. Seul un suivi à long terme de plusieurs années permet d’identifier ces effets, et des procédures doivent être mises en place pour recueillir ces éléments.

Les critères qui pourraient conduire à inclure des 12-17 ans dans ces études « mixtes »sont les suivants :

  1. Un Argumentaire scientifique solide démontrant la validation des modèles précliniques reliés à la pathologie concernée et une attention particulière portée aux effets sur la croissance et la puberté.
  2. La présence d’une altération génétique (germinale ou tumorale ou des tissus/organes affectés par le processus pathologique) ou moléculaire permettant de présumer de la haute probabilité d’efficacité de la nouvelle molécule en raison de son action inhibitrice ou stimulante sur des circuits métaboliques ou immunitaires intervenant dans la pathologie concernée.
  3. Une pathologie grave et invalidante sans traitement de référence à l’heure actuelle
  4. Un pronostic vital engagé à court/moyen terme mais une durée de vie escomptée permettant de justifier l’administration d’un nouvel agent thérapeutique pour évaluer la balance entre le risque et le bénéfice thérapeutique potentiel.
  5. De plus il est impératif que :
    • Dans le cadre de ces protocoles « mixtes », le volet pédiatrique de cette recherche soit mené dans des services de pédiatrie agréés.
    • L’investigateur soit particulièrement vigilant à la proposition d’une alternative thérapeutique.
  6. Stratification dans le temps pour l’inclusion majeur/mineur
    Commencer chez l’adulte la dose 1, valider la tolérance et la sécurité. Puis débuter la cohorte 2 adulte et commencer la cohorte dose 1 chez les 12-17 ans. Ce schéma permet d’avoir des premiers résultats en termes de tolérance et de pharmacocinétique chez l’adulte avant la première administration chez le mineur.

Cas particulier : Pathologie très rare chez l’enfant qui ne permettrait pas de constituer une cohorte statistiquement significative avec les seuls mineurs. Dans ce cas précis, et pour des pathologies invalidantes sans traitements de référence, les CPP acceptent généralement l’inclusion précoce de mineurs dans des protocoles « mixtes » incluant des majeurs et des mineurs, jugeant au cas par cas de l’âge minimum d’inclusion. A noter que de nouveaux schémas d’essais cliniques tels que « N-of-1 trials » ou « basket trials » permettent de réaliser des recherches sur de très petits nombres de patients

Une réflexion législative et réglementaire semble nécessaire pour favoriser l’inclusion de mineurs de 12-17 ans lors de phases I/II dans le même temps que des personnes majeures, tout en respectant le principe de protection particulière de cette population vulnérable par un encadrement strict de cette procédure.

A noter qu’aux USA, la FDA vient de publier en juin 2018 des guidelines allant dans ce sens, dans le domaine de l’oncologie pédiatrique pour des adolescents en échec thérapeutique et dont le pronostic vital est engagé.

Le CERPed demande que la possibilité d’entreprendre des recherches de phase I/II chez des mineurs de 12-17ans dans le même temps que chez des personnes majeures soit discutée par les législateurs pour les situations où il n’existe pas de traitement de référence et où le pronostic vital est engagé. Si les législateurs européen et français décidaient de reformuler le paragraphe sur les conditions d’inclusion des mineurs, ils devraient porter toute leur attention à l’ensemble des critères qui pourraient autoriser dans un protocole donné de déroger à la règle générale de ne débuter une recherche sur un produit de santé chez des mineurs que lorsque des résultats validés sont disponibles pour la population adulte. Il faudra également être attentif à ce que le protocole précise la stratification dans le temps des premières inclusions majeur/mineur